Effondrement du trafic sur les sites web touristiques en lien avec la crise du Covid 19

Crise Coronavirus

Une analyse des agences de voyages en ligne (OTA) et des organisations touristiques entre octobre 2019 et avril 2020

En quelques années seulement, les agences de voyages en ligne (OTA) ont acquis une position dominante sur le marché du voyage. Elles ont toujours été considérées comme les grandes gagnantes de la mondialisation et de la numérisation du tourisme. Cependant, depuis mars 2020, la crise mondiale du coronavirus a complètement bouleversé le modèle économique des géants du voyage en ligne :

  • Début avril, Airbnb annonce que qu’elle lève 1 milliard de dollars de nouveaux fonds pour lutter contre l'impact de la pandémie de coronavirus. Selon Skift, Airbnb ne pèserait pas plus de 18 milliards de dollars à l’heure actuelle… et les investisseurs tablaient sur une valeur d’au moins 40 milliards de dollars lors de l’entrée en bourse de la société. Or, les prévisions de vente en 2020 s’élèvent à « moins de la moitié » du volume de 2019. Le 5 mai, Airbnb annonce d’ailleurs qu’elle licencie un quart de ses 7'500 employés. Outre ces 1900 licenciements, l'entreprise fera également une pause dans ses investissements.
  • Expedia, la plus grande plateforme de réservation en ligne au monde (avec booking.com) a nommé son nouveau PDG Peter Kern à fin avril 2020 et annoncé la levée de 3,2 milliards de dollars de capitaux pour lutter contre l'impact du coronavirus sur ses activités.
  • Conséquence directe de l'effondrement des entreprises provoqué par la pandémie de Covid 19, TripAdvisor a également annoncé début mai qu'elle supprimerait plus de 900 emplois, soit environ un quart de ses effectifs.
  • Le métamoteur de recherche Trivago est également aux prises avec des problèmes économiques. Confrontée à une baisse des ventes publicitaire ("referall revenue") de plus de 95 % dans les dernières semaines du premier trimestre, l’entreprise Trivago a informé les investisseurs que la société apportera « des changements dans sa structure organisationnelle », notamment à travers des réductions "importantes" de personnel.
  • Booking Holdings est également confronté aux conséquences de la crise. Le budget publicitaire de plus de six milliards de dollars (probablement le plus gros client publicitaire de Google) est réduit massivement. De nombreux médias rapportent que l'opérateur de la plate-forme Booking.com aux Pays-Bas a demandé l'aide du gouvernement pour sauver ses 5 500 employés en raison de la pandémie de coronavirus qui a provoqué une chute de 85 % des réservations. Afin de disposer de liquidités suffisantes, Booking prévoit également d'émettre des obligations pour un montant d'environ trois milliards d'euros et a l'intention d'émettre des obligations convertibles pour près de 690 millions d'euros. Début mai, Booking a annoncé que les recettes totales du premier trimestre 2020 étaient tombées à 12,4 milliards de dollars - un chiffre énorme, mais en baisse de 51 % par rapport à l'année précédente (25,4 milliards de dollars). Une grande partie de cette perte est due à la baisse drastique des nuitées hôtelières réservées, qui ont chuté de 43% au premier trimestre.

Nos chiffres actualisés sur le trafic des sites web des OTAs illustrent l'ampleur de l'impact de la crise, impact qui s'est encore accentué depuis notre dernière analyse (chiffres de mars 2020), comme l'illustre le graphique ci-dessous.

Fig. 1 Trafic mensuel sur les sites web des OTAs entre octobre 2019 et avril 2020 (Source : SimilarWeb)Fig. 1 Trafic mensuel sur les sites web des OTAs entre octobre 2019 et avril 2020 (Source : SimilarWeb)

L'analyse du trafic des sites web des organisations touristiques nationales (national tourism organisation, NTO) permet de donner un aperçu de l'impact de la crise dans différentes parties du monde. Cette importance est illustrée dans le graphique ci-dessous, qui compare le trafic du site web de 11 NTOs sur la base des données fournies par SimilarWeb. En décembre 2019, Suisse Tourisme était l’une des principales NTOs, avec 3 millions de visiteurs par mois, juste derrière la Corée du Sud mais bien au-dessus des chiffres de ses concurrents européens.

L'analyse du trafic des NTOs montre une très forte diminution du trafic sur les sites web de la plupart des NTOs (-53% en moyenne sur les 16 NTOs analysées), en particulier pour la Suisse (-76%) et la Corée du Sud (-72%). Un recul important est également noté pour l'Allemagne (-67%) et l'Autriche (-67%). De plus, il est intéressant de relever que le trafic sur le site web sud-coréen a augmenté de 20 % en avril par rapport au mois précédent.

Fig. 2 Trafic mensuel sur les sites web de 11 NTOs entre octobre 2019 et avril 2020 (source : SimilarWeb)

Concernant le trafic sur les sites web des destinations touristiques alpines, notre analyse montre les mêmes tendances que celles observées dans les organisations touristiques nationales. Les 19 organisations touristiques (destination management organisation, DMO) suisses, françaises et autrichiennes analysées ont perdu en moyenne 70% de leur trafic entre décembre 2019 (haute saison) et avril 2020 (notre dernière analyse réalisée sur la base des données du mois de mars montrait une tendance baissière de "seulement" -27%). Les pertes de chaque DMO varient entre 60 et 80 %, à l’exception notable de Zermatt. La première destination valaisanne a augmenté son trafic de 380'000 visites (décembre 2019) à 430'000 visites en avril ! Dans le détail, les données de SimilarWeb suggèrent que la proportion de visites en provenance de Suisse, qui était de 17% en avril, a diminué de 30% par rapport au mois précédent. En revanche, on constate une augmentation de plus de 200 % des visites en provenance des États-Unis (21 % du trafic sur le site de Zermatt) et de 22 % des visites en provenance d'Allemagne (11 % du trafic). Cette augmentation est due au succès du projet d'illumination du Cervin (projet Hope), qui s’est déroulé tous les jours du 24 mars au 26 avril 2020. L’illumination du Cervin a porté au monde entier un message d'espoir et de solidarité pendant les cinq semaines les plus difficiles de la pandémie. Selon Zermatt Tourisme, "les projections ont suscité l'intérêt du monde entier et ont provoqué des réactions qui ont submergé les responsables. Les reportages des médias ont eu une portée internationale de plus de 700 millions. Les publications sur les réseaux sociaux ont obtenu jusqu'à 1,7 millions de Likes".

Fig. 3 Trafic mensuel sur les sites web de 8 DMOs en Suisse, en France et en Autriche entre octobre 2019 et avril 2020 (source : SimilarWeb)

Cette année, les professionnels suisses du tourisme basent tout leurs espoirs de reprise sur la clientèle nationale. Nous avons donc examiné l'évolution des visites des DMOs helvétiques depuis la Suisse. L'illustration suivante montre la proportion de visites en provenance de Suisse sur les sites web des DMOs suisses (axe horizontal) par rapport à la croissance des visites en provenance de Suisse entre mars et avril (axe vertical). Dans la plupart des DMOs suisses, la part de visites indigènes étaient comprises entre 60 et 80% du volume total de visites. Cette part helvétique est nettement plus basse pour les destinations de Zermatt (17%), de Crans-Montana (44%) et de Jungfrau Region (48%). En revanche, le site internet de Valais/Wallis Promotion (VWP) a été presque exclusivement visité par des Suisses durant le mois d’avril, part qui s’élève à 87%. Relevons que, dans notre échantillon, seuls deux sites web comptent une augmentation du nombre de visites suisses en avril. Tout d’abord, le site de VWP, avec une augmentation de 21% du nombre de visites (soit un total mensuel de 95 000 visites en provenance de Suisse) et Suisse Tourisme, avec une augmentation de 1,6% (350 000 visites en provenance de Suisse). Pour tous les autres sites de DMOs analysés, la baisse du mois d’avril est due, bien sûr, à l’arrêt brutal dès la mi-mars de toutes activités touristiques dans les destinations alpines.

Fig. 4 Analyse de l'évolution des visites de sites web depuis la Suisse pour les DMO suisses

L'analyse du trafic sur les sites web des régions touristiques suisses (Lucerne - Suisse centrale, Graubünden Ferien, etc.) mais aussi des destinations urbaines (Genève, Bâle, Zurich, etc.) montre une évolution similaire à celle des destinations alpines avec un pic en décembre et une baisse du trafic en mars et avril.

Fig. 5. Trafic mensuel sur les sites web de 8 DMO régionaux et urbains entre novembre 2019 et avril 2020 (source : SimilarWeb)

La planification des voyages des suisses pour la saison estivale aura lieu en mai et juin. Il sera intéressant d'analyser l'évolution du nombre de visiteurs en provenance de Suisse à l’échelle mensuelle. Cet indicateur permettra de tirer quelques conclusions sur l’envie de voyager des Suisses.

Référence

Photo en titre © Light Art by Gerry Hofstetter / Foto Frank Schwarzbach