Penser en dehors du cadre

Futurs proches Onyo Les Passeurs Montagne Anthropocène Récit fictionnel

Nous expérimentons des bouleversements environnementaux dont nous savons désormais qu’ils sont fait pour durer. Il apparaît aussi clairement que l’humain a sa part de responsabilité dans ce trauma. Ce qu’il fait de ce dernier est fonction de son acception de la notion de nature : l’humain s’entêtera-t-il à dresser la culture contre la nature en postulant la culture comme supérieure ? Ou se résoudra-t-il à se penser lui-même comme élément du tout qui est nature ? Opérer le passage d’une culture de la prédation (sous couvert de rationalité) à la symbiose du vivant est le défi à relever. La mue peut être encouragée par des visions nourries par des imaginaires nouveaux. Ils sont nouveaux dans la mesure où ils ne sont pas colonisés par des représentations mentales entachées d’un paradigme qui place l’humain au centre de toute chose. Le soir du 22 mars 2023, un groupe d’imaginaires prospectifs a donc rendu la montagne à la montagne en imaginant un renouveau en lien avec la sortie de l’anthropocène. Et le voyage était du récit. Lisez plutôt :

Graine d’oiseau

 

L'hiver approchait. Bientôt, ce filet d'eau qui le nourrissait deviendrait glace. Pourrait-il passer un nouvel hiver ? Peu de pins sylvestres résistent aussi longtemps à cette altitude, dans la "zone de combat" où le végétal cède la place au minéral. Mais il était confiant.

Le glacier s'était retiré en un filet d'eau qui cherchait son chemin en zigzaguant vers la vallée. Ce modeste legs de la glaciation lui avait toutefois permis de survivre dans ce désert minéral. Sa reconnaissance serait éternelle. 

Maintes fois, le vieux pin avait puisé au plus près de la roche la fraîcheur qui lui manquait durant les mois d'été. Ces épisodes caniculaires, un temps espacés, avaient fini par revenir avec une fréquence toujours plus insoutenable. Pour ménager ses efforts, le pin s'était résolu à abandonner ses aiguilles sommitales. Après tout, à son âge, il pouvait se permettre quelques originalités.  

Il était resté debout si longtemps, maintenant il était temps pour lui de céder la place. Lorsque l'oiseau passa, il sut que le moment était venu. L'oiseau se posa avec grâce sur son tronc racorni.  

Il est une légende qui dit qu’une espèce d’oiseaux, venue des terres australes,  avait fait le serment d’être la gardienne des pins sylvestres. Ainsi lorsque la vie sur terre fut un jour en danger, l’un d’entre eux avait traversé l’océan pour poser une graine dans le creux d’un lapiaz . 

Les années passant, de génération en génération, les oiseaux  se transmirent le secret du pin qui persistait au pied du glacier.

Alors que l’un d’entre partait rendre visite à ce dernier, il comprit à son allure chétive,  pourtant couverte de pommes de pin, que l’arbre lui remettait ses dernières graines, 

Il avait vécu ici la vie qu’il n’aurait espérée ailleurs. Offrant de sa superbe à l’oiseau, qui le voyait pour la dernière fois, il lui fit don de ce qu’il avait de plus cher et lui confia, une fois encore, la vie de son espèce. L’oiseau prit son envol et disparut.

Au milieu de la mer,  il repéra une montagne abritant un lac aux eaux peu profondes.

Ses rives, en pente douce, quelques peu marécageuses étaient couvertes de joncs. Lieu parfait pour la nidification, ceux-ci servaient de refuge à quantité d’animaux. L’oiseau vint se désaltérer après ce long voyage et soulagea ses intestins. La graine avalée la veille  trouva l’environnement idéal pour se développer.

Masquée par la boue, elle était à l’abri des oiseaux et des rongeurs. Bientôt un germe perça et s’élança vers la lumière. Des radicelles se formèrent, ancrant cet Etre dans sa nouvelle Terre.

 

 

Les autrices (#Noémie Poulain, #Céline Saint-Martin, #Marie-France Paugam, #Nathalie Stumm) du récit « Graine d’eau » ont assisté à la soirée du 22 mars « Et si demain, nous devenions toutes et tous des gardiens de la montagne ? » organisée par #Futurs proches, #Onyo, et #Les Passeurs.

Cette soirée a fait affleurer chez l’autrice Nathalie Stumm des questions et un constat:

Et si le voyage était l’avenir du tourisme ? Et si le tourisme n’était plus la consolation marchande d’une vie centrée sur le travail ? Et si la solidarité interespèce était l’absolu de l’expérience sensible ? Imaginer la sortie de l’anthropocène reste encore un impensé touristique.