Pétrole et tourisme : une liaison dangereuse ?

ChangementClimatique DeveloppementDurable

De par les besoins de mobilité des voyageurs et les infrastructures nécessaires pour les accueillir, le secteur touristique dépend fortement de la disponibilité et du prix des ressources énergétiques.

«La pénurie énergétique et la hausse des prix du pétrole sont un souci réel et actuel… pour faire marcher le business à long terme» (lire l'article "Four global mega trends forcing the travel industry to adapt or die").

Essentiellement situés en région périphérique, les sites touristiques valaisans dépendent particulièrement de l’efficacité des moyens de transport les desservant (autoroute en plaine, réseau routier de qualité pour accéder aux stations, diversité des transports publics, etc.). Pour s’en convaincre, il suffit de constater les effets de l’ouverture de la ligne ferroviaire empruntant le tunnel de base du Lötschberg. Inaugurée en décembre 2007, cette ligne a eu des effets positifs sur la fréquentation touristique de la vallée de Saas, de Brigue-Belalp et d’Aletsch (Schnyder, Doctor et al. 2012).

Dans cette petite analyse, nous traitons en particulier l’évolution des stocks de pétrole et les conséquences sur le secteur du tourisme, en considérant la problématique du changement climatique.

Influences mutuelles du changement climatique et du tourisme

Les transports performants ont aussi leur revers de médaille. Ils produisent à leur tour des nuisances environnementales. Il s’agit de conséquences directement perceptibles par le touriste telles que nuisances sonores, pollution de l’air ou défiguration du paysage. La conséquence à long terme la plus fameuse étant bien entendu le réchauffement climatique. En 2005, le secteur touristique fut responsable de 4% à 6% des émissions globales totales de CO2 (Clivaz, Doctor et al., 2012). Ce gaz étant le principal contributeur au réchauffement climatique. Dans le secteur du tourisme, les transports contribuent à eux seuls à 75% des émissions de CO2. Il s’agit avant tout de la combustion du pétrole. L’hébergement contribue à 21%, soit pratiquement le reste (Clivaz, Doctor et al., 2012).

Bien que le tourisme soit en partie responsable du réchauffement, il le subit également. L’influence peut être directe par l’augmentation des températures spécialement marquée en été en région méditerranéenne. Ce qui portera préjudice au tourisme estival dans le sud de l’Europe, au profit de la mi-saison ou alors de l’Europe centrale ou du nord en été (Perch-Nielsen, 2008). L’influence se révèle souvent indirecte, c’est-à-dire par les effets induits de la hausse des températures (manque de neige en hiver, fonte du permafrost, retrait des glaciers, voies d’accès menacées, etc.). Pour l’industrie du tourisme, il est donc primordial non seulement d’avoir des mesures d’atténuation du changement climatique mais aussi de prendre des mesures d’adaptation à ce changement. Bien entendu, les stratégies climatiques ne peuvent pas être lancées uniquement par le secteur touristique (Clivaz, Doctor et al., 2012). Pour l’instant, c’est surtout l’adaptation technique qui prévaut (enneigement technique, protection des voies de communication, etc.) dans les régions de montagne.

Aviation bon marché: concurrence pour le tourisme valaisan et forte contribution au réchauffement

Des transports efficaces et abordables pour le plus grand nombre sont une condition essentielle à la venue de touristes internationaux. Par conséquent, une grande crise pétrolière a un impact très négatif sur la demande touristique.

Néanmoins, en plus des problèmes liés au réchauffement climatique, le phénomène des low-costs a aussi un effet négatif pour la Suisse et en particulier pour les Alpes Suisses (hotelleriesuisse, mai 2013) qui peine à rester compétitif au niveau des prix. Avec l’aide des transporteurs low cast, apparaissent des offres du type d’un séjour d’une semaine de vacances balnéaires Charm-El-Cheik ou à Djerba dont le prix s’avérera meilleur marché que celui d’un forfait d’une semaine dans une station valaisanne. S’envoler à Barcelone pour 20 CHF ne représente bien évidemment pas les coûts énergétiques et environnementaux réels. Si c’était le cas, des vacances à Zermatt, Saas-Fee ou Verbier se révèleraient bien plus avantageuses, notamment en s’y rendant en transports publics. En 2009, parmi les 4 moyens de transports (avion, auto, train et bateau), la plupart des voyageurs internationaux ont privilégié l’avion (54%), suivi de la voiture (39%). Cela signifie que 92% des touristes internationaux ont utilisé les moyens de transports les plus gourmands en énergie.

 

Le problème de l’aviation est qu’elle représente à elle seule 3.5% du total des activités humaines responsables du changement climatique et ce secteur évite, pour le moment, toute réglementation contraignante. En plus, comme l’aviation civile croît à raison de 5% par an et malgré l’amélioration de l’efficacité énergétique, les émissions de CO2 des transports aériens augmenteront de 3 à 4 % par an (GIEC, 2007 et Le Temps, déc. 2009). Les émissions de CO2 dues à l’aviation devraient doubler entre 2000 et 2025. L’Europe commence à envisager d’introduire une taxe sur le trafic européen, mais celle-ci est bloquée par les Etats-Unis et la Chine (Le Temps, mars 2013 et http://www.euractiv.com/sustainability/eu-parliament-backs-co2-cap-air-traffic/article-156587). En plus de l’effet environnemental, une telle taxe pourrait rendre les destinations valaisannes un peu plus concurrentielles, en augmentant le prix des vols low-cost. Il faut néanmoins relever qu’il est aussi plus difficile substituer le pétrole pour l’aviation que pour les autres moyens de transports (Académie suisse des sciences, 2007).

Si aucune réglementation contraignante n’est envisagée, on peut légitimement se demander pour combien de temps encore l’aviation restera abordable et accessible à une grande majorité de résidents des pays industrialisés. Cela dépendra en bonne partie des réserves de pétrole sur la planète ou de l’efficacité de ses substituts.

Consommation et stock de pétrole

«La disponibilité à un coût avantageux et, dans une large mesure, illimitée du pétrole au XXe siècle a entraîné la société industrielle dans une dépendance dangereuse» (Académie suisse des sciences, 2007). Actuellement, nous restons encore très dépendants du pétrole qui, avec le charbon, produit le plus de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. En outre, avec les troubles politiques issus du printemps arabe, la communauté internationale s’inquiète autant du prix du pétrole que de son approvisionnement. La consommation journalière de pétrole devrait augmenter de 32% entre 2010 et 2040 (voir image ci-dessous). Cette hausse provient avant tout de l’augmentation très forte de la demande de la part des pays émergeants et en voie de développement.

Aura-t-on toutefois assez de pétrole pour faire face à cette demande ? L’image 5 ci-dessous montre qu’il est prévu un pic de production entre 2015 et 2035. Ensuite, l’offre diminuera et avec l’augmentation prévue de sa consommation, le prix du pétrole brut pourrait monter en flèche. En plus, 70% des réserves de pétrole se trouvent dans les pays de l’OPEP, politiquement souvent instables (Académies suisses des sciences, 2007). Ce qui augmente encore cette dépendance. Une hausse subite du prix du pétrole suite à des guerres pourrait peser très lourd sur le tourisme comme sur l’économie en général.

«En été 2008, le bond des prix de l’énergie a rappelé l’importance des coûts de transport. A long terme, on peut tabler sur une nette augmentation des prix de l’énergie, en particulier de celui du pétrole. Or la raréfaction des ressources dans le domaine énergétique, avec pour corollaire l’augmentation des prix du pétrole et de l’énergie en général a deux effets sur le tourisme: 1° les dépenses en faveur de biens non touristiques augmentent et réduisent donc le budget vacances, 2° les coûts de voyage croissent avec la distance». (Conseil fédéral suisse, 18 juin 2010)

La Russie, 1er producteur mondial de pétrole, pourrait être la solution. En effet, en juin 2013, elle a produit journalièrement plus de 10.5 millions de barils de pétrole contre moins de 9.5 pour l’Arabie Saoudite (Le Temps, juillet 2013). Les Saoudiens restent néanmoins à la première place en termes d’exportation, car la Russie fait avant tout face à une forte consommation domestique. Les groupes pétroliers russes ont même tendance à réduire leurs exportations vers l’occident au profit d’un oléoduc important vers le Pacifique. L’Occident ne peut donc non pas compter sur les réserves de pétrole russe. Il reste à voir dans quelle mesure le pétrole brut peut être substitué à d’autres sources d’énergie, c’est-à-dire analyser l’évolution technologique qui va contribuer à améliorer l’efficacité énergétique et donc également impacter le futur prix du pétrole.

Substitut de pétrole

Le gaz naturel, la moins sale des énergies fossiles, a certes un certain avenir. Il ne fera toutefois que prolonger le délai car les réserves de gaz traditionnel s’épuiseront à l’horizon de 2040 (Le Temps, mars 2013). Par contre, les Etats-Unis, le plus gros consommateur mondial de pétrole, ont développé la possibilité technique d’utiliser le gaz de schiste, type particulier de gaz naturel. Ce qui ouvre la voie pour une certaine indépendance énergétique. Il est prévu pour 2040 que 50% du gaz naturel proviendra du gaz de schiste. Les coûts d’extraction sont toutefois relativement importants et quand bien même les Etats-Unis disposent de vastes réserves de gaz de schiste, ils réserveront très certainement cette ressource à leur seule consommation domestique. Il est donc difficile d’estimer dans quelle mesure ceci fera baisser les prix du gaz naturel et éventuellement stabiliser voire baisser le prix du pétrole.

Cette nouvelle utilisation du gaz de schiste a comme conséquence que les Etats-Unis visent l’indépendance pétrolière et gazière par rapport à l’OPEPl’Europe reste plus vulnérable face aux pays producteurs de l’OPEP.

Le plus inquiétant est que cette nouvelle utilisation du gaz de schiste au Etats-Unis pourrait compromettre les efforts effectués dans la lutte contre le réchauffement climatique. Dans ce domaine, il faudrait avoir recours aux énergies renouvelables comme substitut, même s’il faudrait faire des investissements relativement importants.

Enfin, on peut encore relever que paradoxalement le réchauffement pourrait favoriser l’extraction du pétrole et de gaz dans l’Arctique, plus longtemps libre de glace. En effet, jusqu’à 30% de ses réserves non pas été découvertes (Le Temps, 29.07.2013). En plus, cela ouvrirait une nouvelle route commerciale du Nord de la Norvège vers la Chine et le Japon.

Prévisions difficiles pour le cours du pétrole 

Tous les spécialistes de l’énergie ne sont néanmoins pas unanimes sur le fait que le prix du pétrole grimpera. Tout récemment (printemps 2013), un groupe de spécialistes de l’énergie de Harvard Kennedy School, a critiqué les prévisions énergétiques de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) sous-estimant notamment le potentiel du gaz de schiste aux Etats-Unis. Ils sont d’avis que grâce à « de nouvelles technologies de forage et de récupération, d’exploration systématique des bassins sédimentaires et à des records d’investissements, l’industrie pétrolière est entrée dans une nouvelle ère d’abondance. En plus, le Japon et les Etats-Unis ont fait part d’une possible exploitation d’immenses réserves d’hydrates de méthane vers 2017 (mélange cristallisé d’eau et de gaz naturel piégé au fond des mers) (Le Temps, mars 2013). Ce produit était jusqu’alors inconnu.

En tenant compte des dérivés du pétrole non conventionnels (gaz de schiste, etc.), ce groupe table sur une production plus importante que la consommation de pétrole et de ses dérivés déjà pour 2020. Le cours du baril de pétrole est actuellement autour de 105$. Les experts de cette école prévoient une chute du cours qui atteindra 50 à 80$ pour les prévisions les plus conservatrices optimistes et même 20 à 30$ pour les plus progressistes.

La donne a aussi changé depuis 5 ans avec la recherche de pétrole non conventionnel tels qu’un dérivé du gaz de schiste. Comme la prospection est devenue systématique sur le continent américain, les Etats-Unis pourraient devenir le premier producteur mondial d’or noir, chose inimaginable il y a encore dix ans (Le Temps, mars 2013).

Si cette variante de prévision s’avère exacte, c’est une bonne nouvelle sur le plan strictement économique, mais un désastre écologique, notamment pour la lutte contre le réchauffement climatique et les coûts qui lui sont liés.

Propositions pour encourager les changements d’habitudes dans le tourisme afin de diminuer la dépendance au pétrole et lutter contre le changement climatique

Les spécialistes de l’énergie se disputent donc de plus en plus sur l’évolution du cours du pétrole. Même si la majorité des spécialistes prédisent encore une augmentation des prix du pétrole, il est encore difficile d’estimer dans quelles mesure ce paramètre du pétrole influencera le tourisme en général, et le tourisme valaisan en particulier. Il faut aussi tenir compte des changements d’habitudes dans le domaine de la consommation de l’énergie qui sont encore plus importants sur le plan de la lutte contre le réchauffement climatique. Ces changements sont pourtant encore plus difficiles à opérer que les changements technologiques. Ci-dessous, quelques propositions suivent pour encourager le changement d’habitudes pour diminuer la dépendance au pétrole et lutter contre le changement climatique.

Le développement durable est devenu un argument compétitif de plus en plus évident dans le tourisme (Observatoire Régional de l’Energie Provence Alpes Côte d’Azur, 2012). Comme le transport a une part écrasante de consommation d’énergie et d’émissions dans le tourisme et que ce dernier reste trop dépendant du pétrole, il faudrait changer en premier lieu les habitudes dans le secteur des transports. En d’autres termes, il faut encourager les transports peu gourmands en pétrole. Pour cela, il est important d’avoir à la fois une volonté politique au niveau local et sur l’ensemble de la planète.

Au niveau valaisan, un pas serait de proposer des promotions aux touristes voyageant en transports publics, comme en Autriche. Dans la commune de Landeck, à l’ouest du Tyrol, le forfait « Tirol West Card » permet par exemple des rabais pour les touristes allemands voyageant sur la Deutsche Bahn. A Werfenweng, dans l’Etat de Salzbourg, station du tourisme doux par excellence, des navettes gratuites sont entre autre organisées depuis la vallée principale où circule le trafic ferroviaire principal (lire notre article sur le sujet).

En proposant des rabais à plus grande échelle encore, au niveau cantonal voire national, les politiciens et acteurs touristiques pourraient encourager les touristes à venir en train plutôt qu’en avion pour des distances inférieures à un certain rayon à définir en offrant des rabais conséquents. Sans agir sur les transports, les acteurs touristiques locaux et cantonaux pourraient plus promouvoir la culture, les beautés locales et les spécificités locales, afin de mieux développer le tourisme local. Par exemple, les sources thermales des gorges de la Borgne dans le val d’Hérens demeurent encore assez méconnues. Il est clair que l’innovation est aussi un élément favorisant le tourisme local.

Sur le plan international, afin de pallier aux méfaits de la consommation de pétrole et du réchauffement climatique, il faudrait déjà taxer plus ce mode de transport déjà au niveau européen, car les Etats-Unis et la Chine refusent encore catégoriquement cette taxe, alors que les politiciens européens y réfléchissent. Parallèlement, un financement pour augmenter encore la performance des trains (vitesse, nombre de villes desservies, etc.) serait le bienvenu. Il est clair que ces mesures internationales prennent nettement plus de temps à être réalisées. Il faudrait donc commencer par des mesures plus locales.

L’Association du transport aérien international (IATA) est néanmoins consciente du problème. Elle a rendu public un programme visant à réduire énergiquement les émissions du transport aérien et axé sur trois objectifs précis :

  • amélioration de l’efficacité carbone, moyennant une diminution de la consommation de carburant de 1.5 % par an en moyenne jusqu’à 2020 ;
  • stabilisation des émissions grâce à une croissance neutre en carbone à partir de 2020 ;
  • réduction absolue de 50 % des émissions de carbone d'ici à 2050 par rapport aux émissions réelles de 2005.

Elle n’a toutefois pas élaboré de mesures concrètes pour arriver à ces objectifs.