L’étude « From Awareness to Action: AI Readiness in Hotels » (téléchargeable ci-dessous) menée par Hagen Britz et Roland Schegg (HES-SO Valais, Institut Tourisme), auprès d’hôtels européens majoritairement de petite et moyenne taille, dresse un état des lieux nuancé de la préparation à l’intelligence artificielle. Le constat est clair : entre conscience et stratégie, un fossé persiste.

L’approche opportuniste domine

La prise de conscience est forte : près de 40% des répondants discutent de l’IA dans le cadre de leur réflexion sur la digitalisation. Cependant, cette prise de conscience ne se traduit pas en vision stratégique claire. Le mode dominant est celui de l’expérimentation dispersée : 35% des hôtels testent des outils au cas par cas et 31% suivent les tendances sans objectifs précis. Seuls 9% disposent d’un document de stratégie formel intégrant l’IA.

Point clé : cette approche réactive et fragmentée expose le secteur à un risque majeur : le « piège de l’expérimentation », sans la transformation. Le rapport rappelle que 95% des investissements dans des outils d’IA générative sans objectif stratégique précis ne produisent aucun rendement mesurable (ROI).

Les barrières sont structurelles

Les principaux freins à l’adoption de l’IA sont concrets et organisationnels :

    • Un manque de temps et de budget.
    • Une expertise technique limitée.
    • Une difficulté à évaluer les fournisseurs et les solutions adaptées.

De plus, les hôteliers ont une faible confiance dans la qualité de leurs données et dans leur capacité à évaluer le retour sur investissement des solutions d’IA. Ces deux points sont pourtant fondamentaux pour la réussite de tout projet d’IA.

L’IA : un remède aux « douleurs opérationnelles »

Les hôteliers ont des priorités très claires sur les problèmes que l’IA doit résoudre :

    • La charge de travail administrative (gestion des réservations, comptabilité, planification du personnel).
    • La gestion de la communication multi-canal (e-mails, plateformes de réservation, messageries).
    • L’amélioration du Revenue Management et de la prévision de la demande.

Les recommandations pour intégrer l’IA de façon stratégique

Pour franchir le cap et transformer l’expérimentation en valeur ajoutée durable, le rapport formule des recommandations précises à l’intention des professionnels du tourisme :

1. Ancrer l’IA dans la vision d’entreprise

Il vaut mieux oublier les tests isolés. Chaque expérimentation doit être liée à une opportunité commerciale réelle ou à la transformation d’un processus central.

    • Cibler la transformation du cœur de métier : résistez à la tentation de n’utiliser l’IA que pour des « applications cosmétiques de marketing » visibles. Concentrez vos investissements sur l’allègement des lourdeurs opérationnelles identifiées par votre personnel (la charge administrative, la communication).
    • Adopter un « Alien Mindset » : les chefs d’entreprises doivent accepter le fait que l’IA générative produit de « nombreuses bonnes réponses » plutôt qu’une seule « réponse juste ». Il s’agit ici de valoriser l’utilité et l’adaptation continue plutôt que des résultats statiques et facilement mesurables.
2. Renforcer les fondements internes

L’IA n’est pas qu’une question de logiciels ; elle repose sur la qualité de l’organisation interne de l’entreprise.

    • Maîtriser les données : une infrastructure de données solide et une bonne gouvernance sont indispensables. Des investissements dans l’amélioration de la qualité des données sont nécessaires pour garantir des résultats fiables.
    • Investir dans les compétences : le manque d’expertise technique est un goulot d’étranglement. La mise en place de programmes de formation ciblés et l’encouragement de l’expérimentation interne (par exemple, avec des outils comme ChatGPT) permet de développer progressivement les capacités du personnel.
3. S’appuyer sur l’écosystème externe

Le secteur montre un fort besoin de support externe. Les associations professionnelles, les organisations de management de destinations et les fournisseurs de technologie ont un rôle clé à jouer.

    • Rechercher des partenariats stratégiques : plutôt que de développer des solutions complexes en interne (ce qui échoue deux fois plus souvent), les hôtels, surtout les PME, devraient privilégier le partenariat avec des fournisseurs de confiance. Dans ce contexte, des systèmes « capables d’apprentissage », qui s’intègrent aux flux de travail existants et s’améliorent avec le temps, seraient à rechercher et privilégier.
    • Exiger un soutien neutre : la demande est forte pour des guides de bonnes pratiques, des formations pratiques et des conseils neutres par rapport aux fournisseurs. Les organisations intermédiaires (associations, offices du tourisme) sont les mieux placées pour jouer ce rôle de « courtier en connaissances ».

Conclusion : le besoin d’un leadership visionnaire

L’IA ne réussira pas uniquement grâce aux outils, mais grâce à un leadership visionnaire prêt à lier les projets à des objectifs stratégiques clairs. La majorité du secteur considère l’IA comme importante, mais pour passer de l’intention à l’intégration structurée, les professionnels doivent adopter de nouvelles façons de penser, renforcer leurs bases de données, former leurs équipes et choisir des partenaires fiables.

Il est temps pour l’hôtellerie européenne de passer de la phase d’observation prudente à la phase d’intégration méthodique et axée sur la valeur. C’est la clé pour garantir la résilience et le succès dans les deux prochaines années.

 

Au sujet de l’étude

Cette enquête a fait suite à 2 recherches déjà réalisées en 2023 et 2025. Les 408 hôtels ayant répondu au questionnaire de 2025 ont été recontactés durant l’été pour leur proposer de répondre à un nouveau sondage qui creusait plus spécifiquement les questions de stratégie digitale, capacités internes, obstacles perçus, besoins de support externe et investissements planifiés. L’échantillon de 79 répondants provient à 71% de Suisse, 14% d’Allemagne, 11% de France, 3% d’Autriche et 1% d’Italie. Il est principalement composé d’hôtels de petite et moyenne taille, la plus grande part ayant entre 20 et 39 chambres.

Les résultats doivent être interprétés avec prudence car l’échantillon n’est pas complètement représentatif de l’entier du secteur hôtelier. La plupart des hôtels participants avaient déjà répondu à une précédente enquête sur l’IA et sont donc susceptibles d’être plus sensibilisés au numérique ou intéressés par l’IA que la moyenne des hôtels. Cela peut entraîner un biais à la hausse en matière de sensibilisation, d’expérimentation et de préparation à l’IA. Les résultats pourraient ainsi surestimer les niveaux d’adoption actuels dans l’ensemble du secteur.