Le métavers

 

Ce billet est basé sur le Metaverse Summit 2022 et le livre « L’humain augmenté. Cyborgs, fictions et métavers » des Editions de l’Aube et Fondation Jean-Jaurès, 2022.  L’autrice de cet article a assisté au Metaverse Summit 2022.

Le métavers et ses premières applications commerciales

Le métavers est annoncé comme étant l’internet de prochaine génération. Demain, les visiteurs de cet espace virtuel y feront des expériences interactives et immersives comme il est aujourd’hui impossible de les faire. Aujourd’hui déjà des gants et combinaisons intégrales haptiques permettent d’avoir la sensation physique du toucher et du contact dans cet univers numérique. Présentement, les spécialistes travaillent à reproduire les odeurs et le goût pour rendre possible une expérience sensorielle totale.

 

La présence augmentée de l’humain dans un espace virtuel va modifier nos habitudes de travail, d’apprentissage et de jeux. Le métavers soutient en effet déjà et de façon inédite des activités de socialisation, de loisirs (sports, visites culturelles, concerts, jeux) et de travail (réunions en distanciel), rendant intelligibles les avancées technologiques et leurs implications dans la vie quotidienne.

 

 

La plupart des technologies nécessaires à la création du métavers sont existantes : L’environnement 3D et la cartographie géospatiale. D’autres sont encore en cours d’élaboration. Mais les efforts ne portent déjà plus exclusivement sur le seul enjeu technique. Après le comment, c’est le quoi qui draine beaucoup les investissements. Entendez par là la constitution d’une économie des créateurs du métavers, travaillant au développement de contenus commercialisables. En dépit d’une matérialisation partielle du métavers, les investissements dans les univers virtuels sont en effet légion. Ils sont déployés essentiellement dans les parcelles virtuelles, les start-ups du métavers et les tokens.

Concevoir des designs pour les espaces virtuels et les avatars qui peuplent ces espaces est en effet devenu un enjeu pour bon nombre de marques. Gucci, Bulgari, Nike, Adidas et Marc Jacobs ont ainsi déjà intégré des vêtements et accessoires NFT (Jeton Non Fongible) dans leurs collections.

 

Robe du défilé de la créatrice Roksanda qui habillera les avatars du métavers. London Fashion Week, le 21 février 2022.  (JONATHAN BRADY / MAXPPP)

The Impossible Tiara, qui habillera les avatars du métavers.  Courtesy UNXD and Dolce&Gabbana

 

Chez Disney, la mise en œuvre du métavers pourrait s’incarner dans des expériences en réalité augmentée, proposées dans et en dehors de ses parcs. De son côté, McDonald’s prévoit d’ouvrir un restaurant dans le métavers : on pourra y passer commande et se faire livrer à domicile dans le monde réel. Le géant de la restauration rapide compte aussi proposer de la nourriture et des boissons virtuelles. Enfin, à l’image de nombreuses autres marques qui se lancent dans le métavers, McDonald’s souhaite organiser des concerts en ligne réels et virtuels. Augmenter la jauge, favoriser l'engagement du public, personnaliser à souhait le design, faciliter l’accès à l’évènement, plonger les visiteurs dans un environnement immersif, les avantages du métavers pour les évènements en direct sont nombreux.

Sur le métavers, les spectateurs des concerts peuvent créer leurs avatars et avoir l'impression d'être présents dans la salle pour de vrai. Et comme dans tout concert en direct, ils peuvent interagir les uns avec les autres et se déplacer librement. Les organisateurs peuvent également ajouter un chatbot IA pour guider, accueillir ou interagir avec les participants, ainsi que des objets 3D amusants qui stimulent le sentiment d'expériences partagées. A condition d’être bien pensé, l’évènement qui prend place dans le métavers peut être attrayant autant pour le public que pour les organisateurs de l’évènement.

Curieux des nouvelles technologies, le musicien Jean-Michel Jarre ouvre la voie à d’autres artistes. En 2021, il donnait un concert dans le métavers. Plus de 75 millions d’internautes ont suivi ce concert derrière leur écran. Pour pouvoir diffuser en réalité virtuelle le concert dans une Notre-Dame de Paris numérisée, à taille réelle, le musicien avait dû passer par une plate-forme américaine étant donné qu’il n’existe pas de plateforme sociale de réalité virtuelle en France. C’est à rattraper ce retard que Jean-Michel Jarre s’est adjoint le concours de la start-up VRrOOM avec le souhait de lancer un métavers français de la culture d’ici fin 2022.

The appartment est un dernier exemple de réalisation aboutie, conçu pour le métavers. Il s’agit d’une application qui montre un projet d'architecture et d'intérieur, conçu par Secondary Bounce. Son objectif est de rendre possible l'exploration du projet architectural et d'interagir avec différents objets, matériaux et éclairages à travers différents modes de visualisation.

Mais pour l’heure ce sont les jeux d’action vidéo qui sont les vecteurs grand public du métavers.

Vers plus d’accessibilité et d’inclusion ?

La question mérite d’être posée. Le métavers faisant un usage étendu de dispositifs visuels, comment s’adresse-t-il à la communauté des aveugles et autres mal-voyants ? D’autres sens sont progressivement intégrés dans le métavers, mais la vue reste un sens pilier de cet espace virtuel ; la qualité de l'affichage est d’ailleurs primordiale pour une expérience de réalité virtuelle réussie. Pour l’heure, l’accès au métavers passe donc encore beaucoup par des supports médiateurs, tel que le casque de réalité virtuelle ou augmentée qui fait de la vue le sens premier.

L'un des dangers les plus évidents pour un métavers accessible est que les questions d'accessibilité ne soient pas pensées dès le début, tant la course des géants de la technologie pour être les premiers sur le marché est effrénée.

A bien d’autres égards, les équipements techniques peuvent mettre en danger l’idée de démocratisation que le métavers porte en soi. Cet outillage est en effet coûteux et volumineux. Un casque de réalité virtuelle dédié coûte en juillet 2022 plus de 200 francs suisses. Tout un chacun ne peut en faire l’acquisition, ni même le porter, faute de pouvoir en supporter le poids sur la durée notamment. Sans dire que les sensations ressenties durant une expérience de réalité virtuelle peuvent relever de l’inconfort et du malaise, si les mouvements de l’utilisateur du casque ne sont pas suffisamment fidèlement et rapidement détectés pour afficher l’image avec un décalage minimal. On peut gager que la qualité de conception et de fabrication ira croissante, ce qui portera le confort et la commodité d’emploi à la hausse.

Mais l'absence de normes communes pour le développement d'outils d'accessibilité tiers pour le métavers fera encore longtemps mentir le credo d’un métavers inclusif. L’espoir est toutefois permis puisque les équipes chargées de l’accessibilité chez Meta, Apple et Microsoft essaient actuellement de définir les normes d'accessibilité dans le métavers.

Une incertitude plus grande va à la compatibilité et son évolution. Peut-on espérer que les casques mobiles seront de plus en plus nombreux à devenir universels, s’adaptant à différents smartphones par exemple ? Rien n’est moins sûr. Aujourd’hui, certains modèles comme le Gear VR de Samsung ou la PlayStation VR n’offrent pas cette flexibilité. Pour ce qui est du PC, la comptabilité est plus largement distribuée, reste que la configuration minimale qui est requise, fait des PC les plus puissants, les plus adaptés aux casques.

Le risque d’une nouvelle fracture numérique est donc réel. Mais ce que l’on se plaît à retenir plus volontiers, c’est ce qui fait aujourd’hui encore rêver les chevilles ouvrières du métavers : la participation du plus grand nombre possible à un monde meilleur. A l’image de Tin & Ed, duo artistique et technologues créatifs, la communauté « [would] love to see (…) a fully connected virtual space that is decentralised, co-created and inclusive of all people, cultures, industries. We hope for it to be a space built from many differing perspectives rather than a singular vision. (…) We hope that the metaverse can be a place that gives space to voices that are not heard, to disrupt the dominant narratives that we all exist in. We hope that the metaverse is a place where we can co-create a more equitable reality, not one where we escape our existing reality ». Dans un monde virtuel, chacun peut a priori se présenter sous un autre jour ou, alternativement, présenter son double numérique. Mais le choix est donné. Dans le métavers, nous ne sommes pas contraints par notre condition d’humain ordinaire. Fauteuils et béquilles peuvent être éclipsés. Les frontières entre rêve, réalité et fiction se brouillent.

Des voix critiques dénoncent l’avènement d’une société à deux vitesses où seul les nantis pourront interagir dans un espace réel, alors que les masses ne pourront le faire que virtuellement. Le voyage comme déplacement physique dans un espace réel relèverait alors du luxe.

L’interopérabilité : un défi à relever

En fait, le manque d’interopérabilité des outils logiciels dans le métavers pourrait finir par poser un problème à tout le monde, et pas seulement aux utilisateurs handicapés. Si Mark Zuckerberg, adopte une position protectionniste, de sorte que, par exemple, le matériel de Microsoft ne fonctionne pas avec la plateforme métavers de Facebook, ou que les avatars de Sony ne fonctionnent que dans leur environnement propre, alors l'engouement pour le métavers ne sera pas à la hauteur des espérances. Pour que le métavers réalise son plein potentiel et s’offre comme nouveau paradigme technologique, le système doit être ouvert et cohérent. Autrement dit, l’utilisateur doit pouvoir entrer dans le métavers à travers différents points de contact et passer d’un univers à l’autre en toute fluidité. Aujourd’hui les mondes virtuels existants sont insulaires, leur fonctionnement est endogène. Sandbox, Decentraland et Cryptovoxels sont parmi eux, les précurseurs du métavers.

Pour solutionner ce problème, 37 acteurs de l’industrie se sont rassemblés en juin 2021 au sein du Metaverse Standards Forum, sous l’impulsion du groupe Khronos, consortium d’industriels de la tech. Meta, Microsoft, Epic Games, Sony ou encore Nvidia en sont membres. Cette entité cherche à définir les règles et les normes qui constitueront le métavers de demain. L’objectif principal est de favoriser son interopérabilité, c’est-à-dire permettre la navigation d’un monde virtuel à l’autre. Ce groupe a pour visée de favoriser un métavers librement accessible, dans l’optique de rendre son développement et son utilisation plus inclusifs, au sens d’universel. L’intérêt commercial n’y est toutefois pas étranger : une interopérabilité des métavers met les utilisateurs en capacité de se connecter à n'importe quelle expérience de métavers et d'y bénéficier de tout ce qu’ils ont déjà acheté en retrouvant leur avatar. On espère que l’expérience client en sera optimisée : plus simples à utiliser, les biens numériques seront aussi plus appréciés, ce qui créera un marché plus important pour tout l'écosystème du métavers. Les petits acteurs du métavers dénoncent le détournement de la volonté initiale des pionniers du métavers au profit du mercantilisme. La rançon du succès diront certains.

 

Des aspects juridiques à considérer

Pour l’instant, le métavers n’est pas régulé par un code juridique propre. Cela pose problème car les impacts des interactions sociales dans le monde virtuel sur nos vies réelles ne sont pas imaginaires. D’ailleurs, des cas de vols, harcèlements, extrémismes politiques ou religieux ont été rapportés, et condamnés grâce aux outils existants. Cela est révélateur des enjeux politiques et financiers qui traversent le métavers. Si ces enjeux étaient négligeables, le droit n’interviendrait pas et ne réfléchirait pas son intervention plus fine dans cet espace virtuel.

Plusieurs aspects interrogent les juristes, à commencer par l’anonymité qui est aujourd’hui constitutive du métavers. Comment, d’un point de vue juridique, faire la lumière sur la responsabilité d’un avatar, s’il est anonyme ? Et si on devait imposer une authentification qui lèverait l’anonymité de l’avatar, quelle serait la régulation à mettre en place ? Faudrait-il appliquer les outils juridiques dont on dispose déjà ou en créer de nouveaux, plus adaptés ? Quelle justice pourrait intervenir dans le métavers, sachant qu’il ne dépend pour l’instant d’aucun État ? Dans le cas où l'homo-numéricus réside dans l'Union européenne, le Règlement européen sur la protection des données (RGPD) s’appliquerait-t-il à l'ensemble de ses expériences au sein du métavers ? Que faire dans le cas d’une succession ou d’un divorce sur les biens issus du métavers ? Comment les notaires doivent-ils traiter les actifs présents dans un monde virtuel ? A n’en pas douter l’expertise des notaires est demandée dans le métavers : si un avatar vend un bien dans le métavers, l’acheteur voudra une sécurité juridique et s’adressera pour cela à des spécialistes pour assurer juridiquement cette transaction.

Alors que la réglementation de ces univers fictifs est encore balbutiante, une foultitude d’utilisations de ces univers s’invente. Les loisirs, la culture et le voyage y sont représentés. Le développement de ces applications est ouvert et promet d’être novateur.

Image en titre: Shutterstock