Les TICS catalysent le pouvoir des consommateurs de prestations touristiques

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La diversification des clientèles touristiques (mesurée à l’aide d’une segmentation des clientèles qui s’affranchit de plus en plus des critères sociodémographiques), l’utilisation généralisée de la technologie (différenciée entre les générations de voyageurs), la vogue des séjours multi-générationnels ainsi que la prolifération des concepts d’économie de partage sont les tendances « lourdes » du tourisme actuel. En quoi impactent-elles le tourisme ?

Quelques éléments de réponse et de réflexion sont proposés dans cette analyse.

La comparaison d’études réalisées par la Future Foundation sur le profil des touristes à un horizon temporel plus ou moins éloigné, fait apparaître certains constats très intéressants. En 2007, l’étude mandatée par Amadeus pronostiquait l’émergence, d’ici 2020, de quatre segments de voyageurs : les seniors actifs, les familles mondialisées, les citadins nomades et les cadres supérieurs internationaux. Au niveau des principales mutations comportementales, la Future Fondation ne se trompait pas en soulignant la généralisation du guidage par GPS, la numérisation des documents de voyage et surtout le succès grandissant des forums de voyage et autres plateformes d’échange d’information de particuliers à particuliers.

Les nouveaux segments de clientèles touristiques

En 2015, le rapport « Future Traveller Tribes 2030 » propose de se projeter 15 ans dans le futur. Dans cette nouvelle mouture, les profils ont été affinés et ils ne se basent plus sur des critères sociodémographiques, mais sur les attentes des visiteurs et leurs attitudes envers la montée en puissances des réseaux sociaux : 

Les "chercheurs de capital social"

Sont très fortement connectés aux réseaux sociaux, ils cherchent à constamment accroître leur audience en ligne via le partage de leurs expériences de voyage. Ils recherchent des expériences personnalisées et cultivent ainsi leur image. En soi, la destination importe moins que la mise en scène et que les interactions sociales qui en découlent. Ces « chercheurs de capital social » s’appuient très fortement sur les avis des pairs avant d’effectuer leurs choix. Lorsqu’ils atteignent un certain niveau de notoriété, ils se considèrent alors comme un relais médiatique crédible et n’hésitent pas à monnayer leur présence.

Les "puristes de la culture"

Partagent avec la catégorie précédente une sorte d’obsession pour vivre des expériences personnalisées tout en y ajoutant la dimension « authenticité » et la volonté de se fondre dans une culture étrangère. Ils privilégient l’information dispensée par des plateformes d’échanges spécialisées et se montrent attirés par les destinations fortement touchées par les changements climatiques. Leur propension à s’écarter des produits touristiques traditionnels les amène tout naturellement à être très réceptif aux potentialités qu’offre l’économie de partage. La manière dont ce profil sera ou non profitable à l’industrie du tourisme reste cependant difficile à cerner. En effet, même si les « puristes de la culture » privilégient  les interactions C2C, ils sont également en quête d’expériences uniques et sont tout à fait disposés à y mettre le prix.

Les "voyageurs éthiques"

Ce sont les considérations morales qui aiguillent leurs choix, par exemple « contribuer à l’essor économique du pays ». Les modes de transports favorisés seront ceux qui minimisent les émissions de gaz à effet de serre. Ils donneront la préférence à des prestataires qui partagent leurs valeurs et seront même disposés à se contenter de visites virtuelles ne nécessitant aucun déplacement.

Les "amateurs du clés en main"

Ce sont  les classes moyennes des économies émergentes qui sont appelées à grossir les rangs des « amateurs du clé en main ». Ces voyageurs peu expérimentés consacrent peu de temps à leur voyage. Ils souhaitent donc maximiser leurs séjours de courte durée en recherchant des offres simples entièrement formatées, dont l’organisation repose sur les compétences d’un agent de voyages.

Les "voyageurs par obligation"

Pour ce segment, les déplacements sont prioritairement motivés par des obligations professionnelles ou familiales. Ces voyageurs auront de plus en plus tendance à associer ces obligations avec des périodes de loisirs et vacances (bleisure tourism).

Les "chasseurs de récompense"

Ils conçoivent le voyage comme une compensation bien méritée à des activités réalisées dans leur vie professionnelle. Lorsqu’ils s’offrent ces « parenthèses » au train-train quotidien, ils sont avant tout en quête d’un épanouissement personnel. Ils apprécient les expériences hors du commun, particulièrement dans le domaine du luxe et du bien-être.

Technologie et partage : dénominateurs communs aux segments de clientèles touristiques

Malgré leurs différences en termes d’attentes vis-à-vis du voyage, les nouveaux segments de clientèles ont presque tous systématiquement recours aux nouvelles technologies. En fonction des profils, l’utilisation de ces dernières sera plus ou moins fortement dévolue à certaines phases. En amont du voyage - inspiration, comparaison, réservation ; pendant le voyage - interactions sociales immédiates ; après le voyage - partages d’expériences, évaluations des prestations. Ce constat est également valable pour le Valais qui bénéficie pourtant d’une clientèle d’habitués. L’enquête de l’Observatoire Valaisan du Tourisme (2013 -2014) démontre que l’Internet (35%) est devenu le second canal d’information juste après les recommandations d’amis (42%), mais bien avant tous les autres moyens d’information.

Une chose est désormais certaine. Le client exige de plus en plus de transparence sur les produits et prestations consommées. Les nouvelles technologies apportent dans ce domaine une aide précieuse. Lorsque le client connecté estime qu’un prestataire n’est pas suffisamment transparent sur son offre, il va éclaircir la situation lui-même en consultant et en participant aux processus d’évaluations sur des sites communautaires dont le plus connu est Tripadvisor. Les interactions sociales qui en découlent confèrent aux clients un pouvoir qui n’existait pas dans un passé encore récent.

Les mutations démographiques et la perception de la famille au sens large du terme sont à l’origine de nouvelles habitudes de voyage. Voyons comment ces dernières profitent aux  « consom'acteurs » de prestations touristiques.

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Le pouvoir des clients s’exerce et se différencie parmi les différentes générations de voyageurs

De nos jours, quatre générations constituent la population touristique. Une récente enquête réalisée aux USA  par MMGY Global, pour dresser le portrait du voyageur américain, révélait que 36% des répondants ont l’intention d’effectuer un séjour touristique multi-générationnel dans les 12 prochains mois, une augmentation de 4% par rapport à 2013.

Cette tendance globale se perçoit d’ores et déjà en Valais. Comme le montre le graphique ci-dessous, tiré de l’enquête de l’Observatoire Valaisan du Tourisme, près de 15% de la clientèle est déjà constitué de « familles tribus ».

La façon dont ces générations utilisent les nouvelles technologies diffère bien évidemment fortement l’une de l’autre. Toutefois, à une époque où les séjours touristiques multi-générationnels gagnent en importance, le pouvoir de décision tend à se répartir sur l’ensemble de la tribu et change encore une nouvelle fois la donne. Comme le montre le graphique ci-après, le pouvoir exercé par les enfants ne doit pas être sous-estimé :

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Les constats d’une autre étude menée cette fois-ci par Preferred Hotel Group confirme que les enfants ne se laissent tout simplement pas imposer les choix de leurs aînés. 40% des grands-parents et des parents affirment que leurs progénitures influencent la planification des vacances, notamment pour ce qui a trait aux choix des destinations (62%), aux activités quotidiennes (77%) et à la sélection de l’hébergement (49%). Ce sont les grands-parents plutôt que les parents (35% contre 25%) qui délient le plus souvent les cordons de la bourse pour payer les séjours multi-générationnels. Ainsi, ils permettent aux membres de leur famille de profiter de vacances inaccessibles sans cette aide providentielle.

Les destinations classiques sont les plus prisées des voyageurs multi-générationnels. Orlando (25 %) et les parcs nationaux (17 %) atteignent le haut du classement des destinations intérieures envisagées  dans les deux prochaines années. Au niveau des destinations internationales, les plus prisées sont les Caraïbes (29 %) et l’Europe occidentale (28 %). Pour cette dernière région, l’Italie (17 %), l’Angleterre (16 %) et la France (16 %) sont les pays qui attirent le plus les voyageurs multi-générationnels.

Les réseaux sociaux et plus spécialement Facebook ont un impact non négligeable sur les décisions de voyage du segment multi-générationnel. 73% disposent d’un profil Facebook, 40% disent avoir au moins partiellement choisi leur destination sur la base de contenu disponible sur les médias sociaux. Enfin 25% affirment que la sélection de prestataires touristiques dépend de l’exposition de ces derniers sur ces mêmes plateformes. 

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Les agents de voyage ont tout à gagner de l’émergence de ce nouveau phénomène, car les voyageurs multi-générationnels sont davantage enclins à s’assurer les services des voyagistes traditionnels. 38 % les ont sollicités  pour organiser un séjour multi-générationnel, et 41 % prévoient de le faire dans les deux prochaines années. Ces proportions représentent le double de celles observées chez les autres voyageurs de loisirs.

Ceux qui ont goûté à l’expérience « voyage en tribu » se disent majoritairement (77%) intéressés à la renouveler si possible chaque année. Cette volonté est particulièrement marquée chez les membres des générations X (80%) et Y (91%). Il est intéressant de constater que les voyageurs multi-générationnels se caractérisent par une forte loyauté vis-à-vis des destinations fréquentées. 35% de ceux-ci envisagent de revisiter la même destination lors de leur prochain séjour multi-générationnel.

Avec une évolution démographique qui voit le nombre de grands-parents augmenter deux fois plus rapidement que l’ensemble de la population, il faut s’attendre à un accroissement du phénomène. En 2020, les Etats-Unis dénombreront 80 millions de grands-parents soit près d’un tiers de la population adulte. Pour la Suisse, les prévisions estiment qu’en 2020, les personnes de plus de 65 ans représenteront 40% de la population active. Contrainte d’allonger sa période d’activité professionnelle, cette population bénéficiera de revenus supérieurs qu’elle pourra dépenser dans des produits et services de non nécessité tels que les prestations touristiques. Le tourisme multi-générationnel devrait par conséquent en être un des principaux bénéficiaires.

 « Pay as you live Generation » et tourisme collaboratif : un couple fait pour durer

Que ce soit dans le secteur de l’hébergement, de la restauration, des activités, de l’expérience touristique, on assiste à l’explosion des modèles d’affaires de particuliers à particuliers. Valeur clé : l’hospitalité. On aurait pu la croire disparue mais celle-ci revient en force grâce à la magie d’Internet. Partout dans le monde, des hôtes accueillent des voyageurs pour quelques nuits, sur un bout de canapé ou dans la chambre d’amis, pour le simple plaisir de la rencontre et de l’échange. couchsurfing.com compte aujourd’hui près de 5 millions de membres dans 250 pays !

Car le tourisme collaboratif est en marche, et il est là pour rester : témoin en est la popularité du couchsurfing, du woofing, des greeters, de l’autopartage et du covoiturage — mais surtout des sites d’hébergement, comme Homelidays, Home Exchange et Airbnb. Loosecubes met en relation les personnes qui ont un surplus de disponibilités en termes de bureau, place de travail, studios spécialisés avec des indépendants cherchant un endroit pour travailler de façon productive. Vayable propose des expériences uniques offertes par des résidents aux voyageurs qui cherchent de l’authenticité et qui souhaitent aller au-delà des tours guidés classiques (excellente implication de la population dans le tourisme;  celui-ci devient véritablement l’affaire de chacun). Getaround permet aux propriétaires de voitures de gagner de l’argent en la prêtant moyennant une location de quelques dollars par heure. TaskRabbit : les utilisateurs font une liste des courses et tâches dont ils souhaitent pouvoir se débarrasser (commissions, se rendre à des bureaux de l’administration, etc..) et les «exécuteurs» agréés proposent leurs prix pour effectuer ces services. EzCater connecte les utilisateurs aux fournisseurs de services de catering, et l’on pourrait poursuivre la liste à l’infini…

La «Pay as you live Generation» (typique de la génération Y) voit la possession des objets comme une contrainte à la réalisation de certains projets. Le logement d’un archétype de cette génération ne contient quasiment plus de zones de rangement. C’est bien plus pratique lorsqu’on souhaite proposer son logement en location de courte durées sur les sites communautaires. Les besoins de déplacements privés nécessitant une voiture sont réalisés avec Zipcar, les étagères remplies de CD et DVDs sont remplacées par des abonnements à Spotify et Netflix. Au lieu d’acheter trop de vêtements, on privilégie des sites communautaires tels que Vestiaire Collective ou Girl Meets Dress.

Pour “The asset-light generation”, l’accès aux documents et à l’information prime sur la possession sous forme matérielle. Les revenus globaux de l’économie collaborative devraient s’élever à US$ 325 milliards d’ici 2025 selon les dernières estimations, soit 50% du PIB d’un pays comme la Suisse  Il y a donc fort à parier que cette tendance va très fortement et durablement impacter le secteur du tourisme.

Références

http://www.journaldespalaces.com

http://www.mmgyglobal.com

Enquête de l’Observatoire valaisan du tourisme (2013 – 2014)