La « vanlife » dans le rétroviseur des destinations touristiques suisses

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Comment les destinations touristiques suisses peuvent-elles se saisir d’un phénomène touristique en roue libre ?

Cet article a été rédigé par Mathilde Zinesi, avec la contribution des collaborateurs de l’Institut de tourisme Jérôme Kuffer, AnneSo Fioretto et Sarah Balet.

 

 Introduction

Vanlife, nom commun [anglicisme], désigne à l’origine le fait de vivre et d’habiter durant une plus ou moins longue période dans un van, véhicule aménagé, ou fourgon. Aujourd’hui le terme se décline en une pratique touristique qui consiste à sillonner les routes à bord d’un véhicule aménagé pour des week-ends, vacances d’été, tours du monde, road trips, etc. Associée aux besoins de liberté et d’autonomie, la vanlife peut de ce fait être perçue comme difficile à encadrer par les territoires. Alors que de plus en plus de personnes sont attirées par cette forme de voyage, les destinations réfléchissent à l’interdire, à l’instar de la commune de Obergoms dans le Haut Valais qui souhaite interdire le camping sauvage, y compris les vans, sur les cols de Nufenen, Furka et Grimsel.

 

Ampleur du phénomène

Depuis quelques années le terme de vanlife fleurit sur les blogs, pages internet, réseaux sociaux, livres, magazines de voyage. Les réseaux sociaux deviennent un catalyseur du phénomène permettant de partager des retours d’expériences, astuces et bons plans pour aménager son van et vivre l’expérience vanlife. À titre d'indicateur, le #Vanlife sur Instagram comptait en septembre 2023, 15,8 millions de posts. La pratique de la vanlife, qui pouvait être encore marginale il y a quelques années, est devenue une tendance touristique répandue. Aux États-Unis, le nombre de pratiquants est passé de 1.9 million en 2020 à 2.6 millions en 2021, soit une augmentation de plus de 25% en une année. Selon une étude réalisée en 2021 par la Chaire de tourisme Transat sur les habitudes de voyage estivales des voyageurs québécois, les road trips figurent parmi les principales expériences touristiques recherchées en été pour 44 % des répondants (Sirois, 2022). En Nouvelle-Zélande, le nombre de campeurs nomades étrangers est passé de 10 000 au début des années 2000 à 123 000 en 2018 (Parliamentary Commissioner for the Environment, 2018). Ces chiffres démontrent l’ampleur du phénomène dans les différentes régions du monde.

 

Minimalisme, liberté, communauté

Pour définir la vanlife « touristique » ou de loisirs, il faut revenir sur les codes qui la caractérisent. La vanlife c’est prendre avec soi le strict nécessaire, adopter un mode de vie minimaliste, qui laisse l’ultra-confort de côté et qui ne fait se concentrer que sur l’essentiel. Partir en van dans le cadre de ses vacances c’est aussi faire l’éloge de la liberté, de la flexibilité et de l’aventure : l’itinérance libre est au centre de cette pratique. La vanlife, c’est en quelques mots, l’apologie de la lenteur, c’est faire du chemin un but, s’imprégner des paysages au travers des fenêtres du van. La vanlife s’intègre dans le mouvement de slow travel, dans lequel la route est replacée au centre des vacances. Dans cet esprit de se recentrer sur l’essentiel, la vanlife promeut la simplicité, la convivialité et le retour à des valeurs de partage. Les vanlifers cherchent à partager, échanger avec d’autres membres de la communauté qui se forme par le biais de rencontres fortuites, de réseaux sociaux, d’applications qui recensent les points d’arrêt. On recherche un esprit communautaire et de partage tout en mettant un frein aux endroits surfréquentés. L’intérêt du van est enfin de pouvoir s’évader loin des foules et replacer la nature au centre des préoccupations, qu’elles soient touristiques, morales ou écologiques.

 

La Vanlife : une communauté ou des communautés ?

À la fois tendance de fond et phénomène de mode, la vanlife a différents impacts sur le territoire selon chaque profil de vanlifer. C’est ainsi que nous pouvons établir des typologies, qui gagneraient à être étoffées, mais qui reflètent les besoins et attentes prioritaires des vanlifers et donc leurs impacts et leur participation à la valeur ajoutée du tourisme.

Les profils suivants de vanlifers se veulent volontairement caricaturaux. Des caractéristiques similaires peuvent aussi être partagées par un même individu, qui peut s’adonner à différentes pratiques avec un même van en fonction de la situation et de ses envies du moment.

 

  1. L’hédoniste :

Il tend à incarner l’esthétisme autour de la vanlife au travers de publications photos et vidéos de vans et de voyages sur les réseaux. Pour lui, l’esthétisme se trouve dans les paysages, mais aussi dans le véhicule qu’il a aménagé. Le van est placé au centre de cet esthétisme. Il est souvent rétro, vintage, mais réaménagé pour correspondre aux besoins de confort de ces vanlifers. Ils reproduisent ici l’idée fantasmée du mouvement hippie, sans nécessairement avoir les mêmes aspirations. Les intérieurs des vans sont pensés et construits pour donner l’image d’une vie rangée et simple, telle une mise en scène l’intérieur du van lorsque ce dernier est pris en photo. L’hédoniste va privilégier les paysages et lieux aux grandes qualités visuelles, qui lui permettront de réaliser de magnifiques photos qui refléteront l’immensité, le calme, la sérénité. Il cherche à se trouver dans des paysages entièrement vierges, ou qui donnent le sentiment de n’avoir jamais été côtoyés par l’homme, à la fois pour le plaisir de la découverte, mais aussi pour la qualité de photo qui en découlera.

 

  1. Le sportif :

Le van est ici un outil, un moyen pour la pratique de l’activité sportive. Celle-ci est une activité de plein air, en général une activité extrême qui nécessite un réel déplacement dans la nature et qui peut se faire sur des périodes prolongées, nécessitant un logement pour la nuit. Les sportifs qui pratiquent la vanlife le font donc en général durant le week-end ou lors des jours de repos. Ils pratiquent en général des activités sportives telles que le surf, l’alpinisme, l’escalade, le ski, le VTT, etc. Le van est ici un facilitateur d’un déplacement vers des zones reculées ou non urbaines ainsi qu’un synonyme de liberté. Il n'est pas un but en lui-même. C’est la possibilité d’avoir un toit, d’être autonome en ressources d’eau, de nourriture et d’électricité qui devient important. La vanlife peut être mise au service d’une activité. C’est un mode de voyage en adéquation à une pratique sportive en pleine nature.

Source : vanlifemag.fr

 

  1. Le vagabond :

Il s’agit d’une catégorie de vanlifers qui se tourne vers les vacances en van pour des raisons économiques principalement. Ces personnes aménagent elles-mêmes leur véhicule, le plus souvent sur le long terme et ne font pas du van un véhicule tout confort, sa fonction principale est de permettre au vagabond d’être libre de se mouvoir d’un lieu à un autre. De plus, l’aspect économique se retrouve dans l’ensemble du séjour : le véhicule aménagé permet de réaliser des économies sur les activités, la restauration et l’hébergement, limitant les dépenses pour le voyageur, mais aussi l’impact économique positif sur le territoire d’accueil. Le vagabond est aussi à la recherche d’une réelle liberté qui se traduit par des vacances non planifiées et l’accueil de l’imprévu. Le vagabond va là où le vent le mène, appréciant de ne pas connaître son itinéraire à l’avance et pouvoir le modifier en fonction de son humeur, des situations qui surgissent ou des rencontres. Le vagabond va chercher à se recentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire dire les personnes avec lesquelles il réalise le voyage et les lieux qu’il visite.

 

©Freepick

 

Une réelle liberté ?

La liberté est une priorité pour les vanlifers, car elle leur permet de mener leurs vacances comme ils l’entendent et donc de favoriser le sentiment de découverte et d’aventure. Mais dans la réalité, quelle liberté leur est vraiment permise ? Est-il possible de stationner partout où on le souhaite, pendant la durée que l’on souhaite ? Quelles sont les réglementations qui existent aujourd’hui ? Est-ce que les dispositions légales tiennent compte des différences de pratique ?

À ce jour, la pratique de la vanlife n’est pas cadrée juridiquement et de manière uniforme sur le territoire suisse. Il existe des interdictions formelles pour certains lieux comme les réserves naturelles, les parcs nationaux, les zones de tranquillité de la faune sauvage ou toute autre zone qualifiée de sensible. Toutefois, dans la législation, il est question de « camping sauvage » et non pas de la pratique de la vanlife. Cela laisse donc en suspens la question de la gestion des flux et des possibles nuisances sur les territoires naturels, lieux qui sont par définition la cible des aspirations de vanlifers.

Source : MyCamper.ch

 

Prise de conscience du phénomène par les destinations

Ce phénomène échappe encore trop largement à notre connaissance en Suisse. Une première typologie a été faite sur la base des données disponibles, mais davantage de recherche est nécessaire pour mieux caractériser le phénomène et accompagner les destinations dans sa gestion. Les vanlifers, à la fois individualistes et à l’esprit communautaire, sont difficiles à appréhender pour de nombreuses destinations touristiques. Par leur itinérance, ce nouveau groupe cible avec ses propres désirs et besoins peut largement échapper aux canaux de communication employés par les destinations. Les vanlifers sont à la fois présents sur le territoire et absents des chiffres de la valeur ajoutée du tourisme.

 

De nombreuses destinations touristiques ont des sentiments mitigés à l'égard de cette pratique, d'autant plus que la pandémie de COVID-19 n'a fait qu'amplifier le phénomène. La popularité croissante de la vanlife entraîne des problèmes de cohabitation entre les usagers du territoire. Il n'est pas surprenant que l'engouement pour le vanlife puisse entraîner des parkings surchargés, des routes encombrées et des déchets laissés par les campeurs. Mais il y a aussi des régions qui voient la présence des vanlifers comme une opportunité. Elles choisissent de réglementer cette pratique plutôt que de l'interdire en mettant en place des règles qui visent à protéger l'environnement naturel, à garantir une pratique responsable et à assurer le bien-être des communautés locales touchées par cette problématique. Une telle stratégie pourrait également s'avérer payante pour les destinations en Suisse qui souhaitent tirer profit de ce phénomène touristique. Les destinations touristiques ne peuvent plus fermer les yeux sur un phénomène dont elles sont déjà les témoins, mais qui nécessite d’être mieux encadré.

 

> Pour plus d’infos et/ou en cas d’intérêt pour participer à un projet pilote (Innotour), contacter : AnneSo Fioretto, anne-sophie.fioretto@hevs.ch | Sarah Balet, sarah.balet@hevs.ch

 

 

Sources :

Sirois, E. (2022, May 24). La Vanlife en 2022 : Un état de La Situation. Réseau de veille en tourisme. https://veilletourisme.ca/2022/05/24/vanlife-2022-etat-situation/

Parliamentary Commissioner for the Environment (2018). https://pce.parliament.nz/

Salman, Y. (2022). Passer la nuit dans le camping-car en plein air. TCS Suisse. https://www.tcs.ch/fr/camping-voyages/camping-insider/conseils/?filterActive=1&

Trüper, T. (2023, February 22). Le camping sauvage en Suisse – est-ce autorisé ? Mycamper.ch. https://magazine.mycamper.ch/fr/astuces-de-camping/le-camping-sauvage-en-suisse/

Unknown. (2022, September 1). Vanlife statistics & trends in 2021. Where You Make It. https://whereyoumakeit.com/converted-vehicles/stats/