Pour un meilleur équilibre des pouvoirs

#Droitsdelanature #ParlementdeLoire #AppelduRhone

Pendant longtemps, en cas de préjudice à son encontre, la nature ne pouvait saisir la justice. Dans de nombreuses régions du monde, c’est encore le cas aujourd’hui. En Occident notamment, ce droit nous est réservé à nous humains : lorsqu’une personne a été violentée, celle-ci peut s’adresser à la justice pour établir les préjudices et bénéficier d’éléments correctifs. Cette possibilité n’est pas donnée aux entités de la nature (eau, air, terre, énergie, etc.).

Pour intenter un procès, il faut en effet avoir un statut juridique – un statut dont les humains ont bénéficié à titre d’exemple dès leur naissance en France en 1804 grâce au Code civil. Plus tard, ce sont les entreprises qui se sont vu accorder une personnalité juridique (distincte de celle de leurs propriétaires ou dirigeants). Mais à ce jour, dans de nombreuses régions du monde les entités de la nature attendent toujours.

 

 

 

Du haut de leur supériorité supposée sur la nature, les humains ont donc agi dans leur intérêt immédiat. Michel Serres de déplorer « (…) nous ne proposons que des réponses et des solutions de terme court, parce que nous vivons à échéances immédiates et que de celles-ci nous tirons l’essentiel de notre pouvoir ». Il est intéressant de relever qu’en s’octroyant un statut juridique, les humains ont privé la nature de la possibilité de tirer un revenu de son propre travail. Les humains n’ont donc pas seulement empêché la nature de se prémunir de déprédations, mais ils ont aussi bloqué sa possibilité de contractualiser.

 

L'étranger, pionnier des droits de la nature

 

Par conséquent, le changement qui opère dans le champ juridique fait dire à des penseurs des droits de la nature que la nature entre progressivement dans le champ social. Cette intégration a été plus précoce dans les pays où la nature n'est pas dissociée du reste de l’écosystème, du moins pas dans les communautés autochtones de ces pays (par exemple chez les Huni Kuin d’Amazonie ou les Nenets de Yamal). Pour ces populations vivant en symbiose avec leur milieu, les droits de la nature sont intangibles et inaliénables. Mais alors pourquoi parler d’intégration d’entités que l’on postule unies ? C’est qu’est intervenu un changement exogène. On a pu observer en effet que les milieux de vie de ces communautés autochtones se dégradant, ces peuples autochtones se sont peu à peu retrouvés soumis à des fonctionnements étrangers. En signant leur dépendance aux ressources externes de leur système (semences, engrais, mais aussi technologies, …), ils ont dû abandonner jusqu’à leurs structures familiales et leurs rites. Les cosmogonies ont été mises à mal. Chasse et lieux de sépulture ont évolués vers une autre réalité. Pour se défendre des projets industriels, ces communautés ont donc adopté les subtilités juridiques occidentales, tout en éveillant les consciences quant à la nature anthropocentrée de ce droit puisqu’il a fallu intégrer les droits de la nature pour garantir les droits humains. Et donc « renoncer à penser l’altérité des humains et des autres êtres que les humains » pour reprendre les mots critiques de la juriste Sarah Vanuxem.

 

Arbre de la connaissance par Jaider Esbell. L’œuvre de cet artiste indigène entremêle les mythes indigènes, la critique de la culture hégémonique et les préoccupations socio-environnementales.

 

Une protestation qui enfle

 

Alertés, les citoyens engagés se sont ralliés à leur cause et se sont organisés. En France, en 2015, « Notre affaire à tous » est fondée. La sensibilisation est amplifiée grâce à deux tribunaux citoyens, l’un portant sur les droits de la nature durant la COP21, l’autre sur les activités de Monsanto. Puis, c’est la première action en justice contre l’Etat français pour inaction climatique. En février 2021, la plus haute juridiction administrative française, le Conseil d'Etat, a rendu une décision historique en reconnaissant que l'Etat avait manqué à ses obligations en matière de lutte contre le changement climatique. Du jamais vu en France, et un bousculement des codes qui se lit à nouveau dans la Convention citoyenne où la notion d’écocide prend sa place. En mai 2021, aux Etats-Unis, des zones humides ont déposé plainte contre l’Etat de Floride.

 

Source : https://www.sylviafredriksson.net

 

Le fleuve, ce lien d’interdépendance

 

Tout aussi récemment, la reconnaissance de la nature s’est aussi traduite par le parlement de Loire (fleuve en France). Dans l’hexagone, le parlement virtuel est le premier à représenter une entité non-humaine. Camille de Toledo, écrivain-juriste et traducteur, a co-animé les auditions du fleuve*. Suite aux Assemblées de Loire, le collectif Vers un parlement de Loire a publié le Manifeste de Loire, qui est destiné à devenir la Déclaration des droits de Loire à l’occasion de la Grande Remontée 2023. Ces projets sont issus d’un collectif qui souhaite renouveler l’urbanisme par une approche artistique, le Polau-pôle arts et urbanisme. Ce dernier a récemment remporté l’appel d’offre pour la construction de ce parlement. Une démarche similaire est menée par id-eau à Lausanne pour le Rhône. Elle enjoint à signer l’Appel du Rhône, et partant, à entrer dans la communauté des gardiens du fleuve.

 

 

Et à l’échelle de l’entreprise alors ?

 

Sans plus attendre l’action des gouvernements et des Etats, de plus en plus d’entreprises créent l’évènement en nommant la nature à leur conseil d’administration. Elles franchissent ce pas radical à l’appui de ce qui s’est fait en Nouvelle-Zélande en 2017 pour le fleuve Whanganui notamment. Elles disent ce faisant vouloir prendre des décisions moins anthropocentrées. Une cinquantaine d’entreprises dans le monde ont exprimé auprès de Lawyers for Nature (LFN) leur intérêt pour ce mode de gouvernance. La première à avoir joint l’action aux mots, c’est l’entreprise de cosmétique « Faith in Nature ». Nous cherchons les entreprises touristiques suisses qui veulent s’inscrire dans cette révolution juridique et écologique. Si donc vous avez initié un changement de gouvernance en représentant par délégation les droits et intérêts de la nature, faites-le nous savoir.

*Il conviendrait plutôt de parler de récit fictionnel auquel a été associé le riverain de la Loire pour penser le changement institutionnel et donc le rapport entre les humains et le fleuve.

Ce billet est basé sur les livres Homo natura. En harmonie avec le vivant, Valérie Cabanes, Editions Buchet Chastel, 2017 ; Le fleuve qui voulait écrire. Les auditions du parlement de Loire, Camille de Toledo, Editions Les liens qui libèrent, 2021 ; La Souveraineté de la Terre. Une leçon africaine sur l’habiter, Danouta Liberski-Bagnoud, Editions Seuil, 2023 ; Le contrat naturel, Michel Serres, Editions Flammarion, 2020 ; et l’article « Repenser le droit à l’âge de l’Anthropocène » in Les penseurs du vivant, 2023.

 

 

 

Pour aller plus loin :

 

Crédit photo de l'image en titre: http://www.are.fr/newsletter-are-20200717/marteau-justice/"